Plus tard dans la nuit, l’insomnie fit remonter à la surface le Traité de la ponctuation de Jacques Drillon que j’avais acheté lors de mon année d’étude, 1991, paniqué à l’idée qu’on eût pu consacrer deux cents pages d’un livre de six cents à la virgule, et revendu depuis, lorsque la virgule ne fit plus le poids en regard d’un billet d’avion.
Maudite insomnie. Un bruit, un rêve, un chien, une minuscule modification de la nuit et voilà, si petite soit-elle, qu’une part de vous ne se livre plus pleinement au sommeil – et que soudain cette part accroche une idée, une idée dont on sent qu’elle pourrait tourner longtemps avec vous dans les draps. Si l’on tient à dormir encore, cette idée il est de toute première urgence de l’éteindre : c’est une question de milliseconde. Mais attention : pas de brusquerie, pas à la lance de pompiers : il ne s’agirait pas de secouer trop de chimie là-dedans et que cela s’emballe et que tout le cerveau comprenne qu’en douce on est parti à la chasse à l’idée et veuille participer. L’éteindre plutôt
au compte-gouttes. Donc, et c’est bien la difficulté, avec une dépense d’énergie proche du néant en même temps qu’une acuité et une accélération foudroyantes – que cette idée dissidente n’ait ni le temps de se propager ni même celui de gonfler tant soit peu – et qu’une fois occise, le sommeil, promptement, recontamine la part de vous qu’il venait de perdre quelques secondes…
Raté donc. Nuit de virgules.
– Frédéric Lecloux, L’Usure du Monde, 2008, textes et photographies, avec une préface d’Éliane Bouvier et une préface Christian Caujolle.
En relisant en patientant, une chronique de confinement par Le Bec en l’air