Le Livre
La catastrophe nucléaire de Fukushima a durablement bouleversé les relations autrefois intenses entre les individus, leur communauté et les cycles de la nature. Comment vivre alors dans un nouvel environnement sous la menace constante de taux de radiation élevés ? Comment exister lorsque la simple liberté de vivre au présent a été supprimée, quand sensations et perceptions charnelles ont été ébranlées et que les liens unissant une communauté à son environnement ont été compromis ?
Telles sont les questions qu’évoque ce livre, avec pudeur et délicatesse, dans un dialogue à plusieurs voix. Installée au Japon depuis 2010, la photographe française Delphine Parodi se rend à Fukushima pour la première fois durant l’été 2012. Pendant sept ans, elle y retourne régulièrement, aussi bien à l’intérieur de la zone d’évacuation forcée de 20 kilomètres autour de la centrale que dans les « trois pays » de la préfecture de Fukushima. Elle photographie, écoute et recueille les témoignages des personnes évacuées. Ses images réalisées avec un appareil moyen-format, présentées sous forme de diptyques, font dialoguer paysages intimes, souvent insondables – rivières, montagnes, lacs, forêts, carrefours, bancs isolés… – et portraits d’habitants, le corps à la jonction entre intérieur et extérieur, comme un vecteur de conscience de l’environnement. Ses images suggèrent l’altération de leur rapport à ces lieux aussi bien que l’importance de la mémoire individuelle.
La romancière et poétesse japonaise Yoko Tawada, qui vit en Allemagne, a elle aussi entamé un travail à la suite de la catastrophe. Delphine Parodi et Yoko Tawada se rencontrent à Berlin en décembre 2012. Elles décident d’unir leurs voix. Yoko Tawada se rend à son tour à Fukushima et rencontre les personnes que Delphine Parodi a photographiées. Elle écrit les 24 poèmes publiés dans ce livre, en allemand d’abord, avant de les traduire elle-même vers sa langue maternelle, le japonais, puis qu’ils soient ensuite traduits de l’allemand vers le français par Bernard Banoun et vers l’anglais par Bettina Brandt. Ce sont des poèmes qui empruntent à la fois à l’esprit japonais et à une langue très contemporaine, guidée par les situations et les voix qu’elle a patiemment captées.
Yoko Tawada et Delphine Parodi feront encore plusieurs voyages à Fukushima, le plus souvent séparément, ensemble à l’été 2015, mais avec la même nécessité, celle d’écouter les habitants, ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils continuent à vivre, portées par la responsabilité commune de mettre en mots et en images cette somme d’événements individuels.
Combinant diptyques photographiques, poèmes et témoignages en quatre langues, Out of Sight est le fruit de ce projet à long terme. Naviguant entre le visible et l’invisible, ce livre donne forme à ce qui reste une menace constante mais imperceptible, et se veut un rappel à la conscience collective en ces temps incertains.
Out of Sight. Fukushima Sheltered from Sight
The Fukushima nuclear disaster permanently transformed the once strong relations between individuals, their community and the cycles of nature. How do we live in a new environment? That is the question raised by this book in a dialogue between several voices, including that of photographer Delphine Parodi and Japanese writer Yoko Tawada who, through 24 poems brought back from Fukushima, perfects the subtle balance between the visible and the invisible.