Le Livre
Vincent Josse est journaliste à Radio France. Chaque jour il emprunte le bus 72 à Paris, un trajet qui longe les monuments et les artères parmi les plus prestigieux de la capitale. Un parcours qui lui laisse le temps d’observer les passagers et même de les photographier : «Vieilles dames et vieux messieurs ont une place de choix dans ce qui, au fil des années, ressemble à une série riche d’une centaine d’images.» Ses photographies en couleurs racontent un Paris intemporel où tissus, accessoires et couvre-chefs composent un univers sociologique singulier.
À quoi songent les voyageurs du bus 72 ? Qui sont-ils ? Où vont-ils et d’où viennent-ils ?
Dix auteurs — Arnaud Cathrine, Marie Darrieussecq, Vincent Delerm, Arthur Dreyfus, Annie Ernaux, Cloé Korman, Susie Morgenstern, Lydie Salvayre, Florence Seyvos et Mathieu Simonet — réinventent les vies de ces anonymes à partir des photographies de Vincent Josse, jouant le jeu de la fiction que suscitent souvent, dans notre imaginaire, les passagers des transports en commun.
Un livre qui mêle avec finesse textes et photographies et nous embarque pour un voyage parisien insolite.
Extrait du texte de Vincent Josse
Je fais de la radio, à Paris. Pour accéder aux studios, j’emprunte le bus 72 à Alma-Marceau et descends à Radio France. Le magnifique parcours suit le cours de la Seine, salue la tour Eiffel et laisse apparaître, sur sa droite, le palais de Chaillot. Il passe sous un métro aérien, près de l’immeuble qui abrita le tournage du film de Bernardo Bertolucci, Le Dernier Tango à Paris. Les passagers du bus 72 se régalent de cet itinéraire si parisien. Souvent, ils s’émerveillent à haute voix ou, au contraire, observent en silence la beauté des monuments inondés de la lumière de Paris.
Eux-mêmes ne sont pas ordinaires. Les quartiers traversés par cette ligne, le temps des six stations, sont parmi les plus cossus de la capitale. Le 8e arrondissement, le 16e. On croise ici des hommes et des femmes sans doute plus aisés que sur d’autres lignes. Les dames, souvent âgées, n’ont pas renoncé à leur coquetterie. Elles portent chapeau de couleur, écharpe et gants et tiennent sur leurs genoux un sac d’une grande marque. Les hommes qui les accompagnent rivalisent d’élégance. Mais au-delà de cette sociologie d’une population favorisée, on croise surtout des regards concentrés ou pensifs. Les voyageurs regardent les monuments ou plongent dans leurs pensées. Il n’est pas besoin de parler, de surveiller son comportement, l’esprit s’abandonne. C’est un voyage hors du temps, ce bus, un moment de pause et de transition.