Le Livre
La question migratoire est devenue un des enjeux contemporains les plus importants à l’échelle de la planète. Nombreux sont les artistes qui s’en emparent, avec l’enjeu de porter un regard différent sur un sujet que les médias épuisent au quotidien. Pour dépasser cet écueil, Mathias Benguigui, photographe documentaire, a choisi la voie de l’histoire, celle de l’île de Lesbos où se côtoient deux récits de migrations.
L’une, récente, est désormais dans tous les esprits : en 2015, près de 500 000 réfugiés principalement originaires du Proche-Orient ont échoué sur les plages de cette île grecque, à 12 kilomètres à peine des côtes turques. L’autre est ancienne et moins connue. Ces arrivées massives ont réveillé la mémoire collective des habitants de l’île, pour qui elles font écho à la « Grande catastrophe » de 1922 – l’exil d’1,3 million de Grecs orthodoxes installés depuis l’Antiquité en Asie mineure mais contraints de fuir les épurations ethniques orchestrées par Mustafa Kemal, fondateur de la République turque. 45 000 d’entre eux étaient alors arrivés à Lesbos dans le plus grand dénuement.
Les Chants de l’Asphodèle – ce lieu mythologique des enfers où les âmes n’ayant commis ni crimes ni action vertueuse patientent éternellement – est une recherche documentaire qui puise dans la juxtaposition de ce double régime de strates historiques. En s’affranchissant ainsi de l’actualité et de ses codes iconographiques, les auteurs ouvrent un espace de création sensible et poétique. Par une série d’images mêlant paysages et portraits de la population de l’île, à la fois insulaire et migrante, Mathias Benguigui propose une lecture des défis imposés à ce territoire en jouant des frontières entre fiction et réalité. Les textes d’Agathe Kalfas répondent au langage des images pour en enrichir la narration et plonger le lecteur dans l’épaisseur de la vie quotidienne de l’île.
Le livre est ponctué d’extraits choisis dans l’œuvre de deux poètes emblématiques de la génération dite « des années 1930 » qui ont contribué à redéfinir l’identité de la Grèce moderne au lendemain de la Grande Catastrophe de 1922 : Odysseus Elytis, originaire de Lesbos – toute comme Sappho, la plus célèbre poétesse grecque antique – et Constantin Cavafis.
Ce livre est publié à l’occasion de l’exposition Les Chants de l’Asphodèle à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz lors des Rencontres de la photographie d’Arles 2021.
To address the contemporary migration crisis, photographer Mathias Benguigui chose the path of history, on the island of Lesbos, where two tales of migration come together: the current one, at the forefront of everyone’s mind, and the one that saw the arrival on the island of 45,000 Greek Orthodox Christians fleeing Turkey in 1922. By breaking away from current events, the photographer opens up a poetic space, where landscapes and portraits intermingle, in dialogue with the texts of Agathe Kalfas and the 20th century Greek poets.