Le Livre
Il y a vingt ans, Frédéric Lecloux commençait un long voyage qui allait l’emmener sur les traces de l’écrivain suisse Nicolas Bouvier, auteur d’un livre qui ne cesse de bouleverser des générations de lecteurs, L’Usage du monde. En 2008, nous faisions paraître L’Usure du monde, recueil d’images que Frédéric avait retenues de ce voyage qui a fondé son œuvre photographique, et qu’il accompagnait par des textes, dépliant la langue soignée qui est la sienne.
Ce livre fut l’un des premiers de notre catalogue et continue à ce jour d’être l’un de ceux qui a séduit le plus de lecteurs. Il est aujourd’hui épuisé et nous avons décidé d’éditer un portfolio rassemblant quelques-unes de ses images emblématiques, ainsi que quatre photographies qui n’avaient jamais été publiées.
Extrait du texte
« Voilà vingt ans qu’Éliane Bouvier, veuve de Nicolas, nous a salués, Olga, Marie et moi, sur le seuil de leur maison de Cologny. C’était le 10 novembre 2004. Elle nous avait accueillis comme ses propres enfants pour notre dernière nuit occidentale. Le lendemain nous dormions à l’Est, si l’on veut bien considérer l’indianité des Tziganes comme un fanal de l’Orient. Trois ans et demi plus tard nous lui apportions son exemplaire de L’Usure du monde, transposition en textes et photographies de cette année d’errance vers l’Inde débutée devant sa porte.
Depuis que j’ai mis sur le métier ce portfolio anniversaire me revient avec insistance l’incipit de la préface de 1949 au Voyage au bout de la nuit : « Ah ! on remet le Voyage en route ». Encombrant bagage dont je préfère me délester d’emblée. Un jour de 1996, lorsque Céline « ne fit plus le poids en regard d’un billet d’avion », pour reprendre une formule appliquée dans L’Usure du monde au Traité de la ponctuation de Jacques Drillon, je suis entré chez un antiquaire de la rue Saint-Jean à Bruxelles, ma bibliothèque célinienne sous le bras. Deux douzaines de volumes. Il m’a tout pris en échange de trois mille francs belges, le dixième du prix du vol. Puis il m’a regardé avec empathie : « Que voulez-vous ! On a tous eu notre petite période… ». J’avais vingt-quatre ans. Je n’ai plus jamais lu Céline. Peu avant j’avais fait connaissance avec L’Usage du monde – trop vite et de travers, y cherchant ce qu’il n’était pas. En 1998 je l’avais en poche sur les routes d’Iran. C’est l’année où je le laissai m’inonder. C’est celle où Nicolas Bouvier mourut. J’ai vécu dans ses mots trop tard pour le lui dire. En 2003 Éliane accepta d’entrer dans nos vies. »