Le Livre
Le sang ne se synthétise pas, ou pas encore. Concrètement, chaque année, 119 millions de poches de sang sont collectées dans le monde, permettant de soigner et de sauver des milliers de personnes souffrant de multiples maladies, de cancers ou victimes d’hémorragie.
L’acte de donner son sang gratuitement et anonymement reconstruit des existences et, autant que résistent les coquelicots à l’emprise du béton, des vies trop fragiles sont maintenues par ces justes, éloignés des suffisances narcissiques tout autant que de l’évaluation marchande de leurs gestes. Rendre compte de cette éthique délicate et discrète des pratiques ordinaires liant le don, le soin et la gratitude, par un dialogue associant des textes et des photos, nous a semblé essentiel.
Trois gouttes de sang comme une fleur est donc un récit à deux voix – celles d’un photographe et d’un anthropologue – mêlant le réalisme du regard à une appréhension poétique du monde. Une narration entremêlée pour reconnaître l’importance de ces « vies minuscules » sans qui nul ne serait ni soigné ni sauvé.
Par une écriture photographique sensible à l’imaginaire Clément Chapillon a tendu un « fil rouge » reliant les différents acteurs du don, notamment par un dispositif d’autoportraits. Chaque personne photographiée a elle-même « pressé » le déclencheur incarnant ainsi son engagement et par ce geste partageant la solidarité d’une générosité anonyme.
À partir d’entretiens réalisés avec des donneurs, des receveurs et des professionnels de santé, en questionnant sa propre expérience des soins, Yannick Jaffré a questionné les mots du don et ce que la vulnérabilité peut ajouter à l’humain.
Plus que jamais, à l’heure où la société s’interroge sur les valeurs qu’elle a en partage, il est primordial d’évoquer l’autre comme imprescriptible responsabilité et de dire la joie nécessaire du simple remerciement.
Extrait des textes de Yannick Jaffré
Être accueilli
Ceux qui poussent la porte sont accueillis comme des connaissances parfois comme des amis. Ils sont souvent nommés par leur prénom ou un surnom. Nul n’est confondu.
Cet espace sanitaire est paradoxal, comme une sorte de club de rencontre ou nul n’est obligé de venir. Certains, donneurs réguliers sont taquinés, plaisamment accusés de ne venir que pour une rencontre sentimentale avec une ou un infirmier, d’autres sont interrogés sur leurs conjoints ou leurs enfants… En fait, outre le questionnaire médical largement vécu par les patients comme une sorte de ritournelle administrative, très peu d’échanges portent sur les aspects médicaux et techniques du don. « Souvent, les gens ne savent même pas ce qu’est le sang et le plasma » nous disent les professionnels de santé.
Si l’on vient c’est pour donner du sang bien sûr, mais c’est aussi parce que le seuil à peine franchi, se découvre un autre espace social fait d’hospitalité, d’interconnaissance, de générosité, de gratitude et de reconnaissance. Une communauté d’expériences, de choix et d’émotions. Une sorte de clairière dans l’indifférence des sociétés et l’évaluation marchande des existences.